Jung-Hyun & John 04 - L'uniforme

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Une trouvaille opportune pour la dernière nuit.
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***Jeudi***

Le dos profondément enfoncé dans le dossier de sa chaise en faux cuir, tapotant l'anse de sa tasse à café, John fixait le rapport comme on fixe une tâche sur un mur vide.

Un visage mobilisait son esprit : une paire d'yeux effilés aux épaisses paupières cachant deux perles d'un noir parfait, un sourire sincère soulevant des pommettes douces et planes, une discrète rangée de dents tout juste un peu inégales, blanches comme le kaolin.

John se plongeait dans une contemplation intérieure, laissant son esprit suspendu dans une sensation de plénitude chaude et rassurante. C'était une sensation familière et pourtant, il n'avait pas le souvenir de l'avoir ressentie depuis des années. Et puis après près de quinze ans Jung-Hyun était réapparue dans sa vie. Elle qui était étudiante s'était, sans prévenir, tout à coup changée en femme. Le parfum de ses cheveux était celui de l'âtre d'un foyer, ses bras étaient les murs et le toit d'une maison. Et en dehors de cette maison il n'y avait rien. Qu'un trou. Qu'un vide infini, hanté d'inutiles édifices et de spectres perdus.

C'est pourtant de cet espace sans bornes et sans lumière qu'il semblait venir. Comme par accident, Jung-Hyun l'avait retrouvé, elle l'avait recueilli. Et de ce néant ne sortaient plus à présent que des échos lointains, des résonnances qui l'appelaient en prononçant son nom.

- John, David, vous nous entendez?

La voix hachée par les interférences du réseau le força à tourner la tête vers le grand écran. Autour de la vaste table ovale, l'entreprise cliente était représentée par toute une équipe de manageurs et d'ingénieurs. On reconnaissait les premiers par le fait qu'ils étaient assis. Les seconds se tenaient debout et portaient une veste de chantier bleue.

Au centre de cette petite foule à la mine grave et tendue trônait Mr. Choï, le directeur des opérations. Cet homme était l'effroyable résultat de ce que des décennies de carriérisme acharné pouvaient faire au corps d'un homme déjà laid au commencement.

On devinait sous sa chemise un ventre mou et débordant de mauvaise graisse tandis que son visage en forme de trapèze ne semblait plus vouloir retenir ses joues flasques. Entre celles-ci ne se trouvait qu'un bouillon presqu'informe d'yeux, nez, rides et enfin une bouche dont le sourire tordu paraissait avoir été installé à l'envers.

Il regardait John de ses yeux pochés avec un air à la fois inexpressif et antipathique. Pour le canadien, c'était parfaitement évident : ce directeur savait qu'il s'était fait baiser. Et en plus, il savait que c'était de sa propre faute. John l'avait prévenu, mais il n'avait pas écouté. On avait voulu faire des économies de bout de chandelle : réduire l'ancrage de la plateforme, gagner du temps. Evidemment sur le papier, tout devait fonctionner ; jusqu'à ce l'abondance des pluies ne rende le versant de la colline instable.

Et puis en plus de cela, toute une série de minuscules erreurs de conceptions : trois millimètres en trop par ici, un centre de gravité erroné par là. Alors, hier enfin, le bureau d'étude central avait adressé le problème, modifié ses plans. Le résultat : la plateforme de Mr. Choï dont les travaux devaient démarrer dans deux semaines était à présent largement sous-dimensionnée.

- On doit pouvoir trouver une solution, non? reprit la voix.

Le grand écran affichait une mosaïque de têtes dégarnies prises sous différents angles plus ou moins flatteurs. John poussa un profond soupir, affichant un air plus préoccupé que jamais. C'était une technique bien rodée, car les tergiversations du client étaient une parfaite opportunité pour faire grimper les factures.

L'équipe Coréenne attendait néanmoins une réponse et son regard croisa l'expression anxieuse de son collègue David qui se tenait à sa droite. Alors il fit semblant de parcourir le dossier en prenant soin de froncer ostensiblement les sourcils d'un air concentré.

- Je voudrais d'abord vous rappeler que l'étude a été faite sur la base d'un cahier des charges qui a évolué depuis notre chiffrage. Lorsque j'ai lu le dossier il y a dix-huit mois vos plateaux devaient peser sept tonnes quatre chacun, et là sur la dernière mise à jour ils en font près de onze. Avec les cent cinquante-trois plateaux en plus de la grue, la plateforme ne supportera pas une telle charge. Ou du moins, nos données montrent un sérieux risque d'affaissement.

Alors qu'il parlait, une vidéo en images de synthèse se lançait à l'écran. La plateforme de Mr. Choï s'affichait dans un dégradé de couleur qui allait du vert au rouge écarlate sur la zone de levage.

Le directeur souffla quelques mots dans l'oreille d'une traductrice qui répéta la phrase en anglais.

- Il existe des modèles de grues plus légères, et en réduisant le nombre de plateaux sur la plateforme la masse totale sera respectée.

Cette femme avait un visage blafard, des cheveux parfaitement lisses d'un noir brillant coupés au cordeau à hauteur du cou. Se tenant debout à un demi pas derrière le fauteuil de Choï, elle se pliait en deux pour parvenir à entendre les susurrements du chef qui, manifestement, ne faisait aucun effort pour se faire comprendre. Le Canadien ne put s'empêcher de ressentir un certain dégout à la vue du directeur qui semblait parler tout bas dans le seul but d'obliger la traductrice à approcher son visage du sien.

Un brouhaha anima soudain la pièce, l'équipe Coréenne faisait ses conjectures. L'idée ne semblait pas arranger le reste des participants. Enfin, David prit la parole :

- J'ai bien reçu l'email de votre assistant, Mr Choï. Cependant avec les modèles dont vous parlez vous allez peut-être réduire le poids de la grue, mais maintenant que vos plateaux sont plus lourds vous allez dépasser la limite de charge. Sans parler de l'encombrement qui n'est plus du tout le même, et puis...

Au fur et à mesure que David démontrait l'impossibilité de la proposition, l'agitation bourdonnante grandissait dans l'équipe Coréenne si bien que Choï, s'agaçant de ne plus pouvoir entendre ce que prononçait la traductrice, se mit à la tirer vers lui par le pli de sa veste.

Bousculée à la limite de l'acceptable, la femme livide poursuivit néanmoins sa traduction d'un ton aussi monotone que possible. Jung-Hyun était-elle confrontée à ce genre de type tous les jours au travail? se demanda John qui assistait impuissamment à la scène. Autour de la table, les participants s'invectivaient, les rapports s'épluchaient, les têtes hochaient négativement.

Le canadien éleva soudain la voix, mettant fin à la petite émeute.

- Mr. Choï, nous avons déjà compilé les solutions possibles. On peut passer aux slides suivants?

Il déroula la présentation qui comportait trois propositions. Evidemment, John et Choï savaient tous deux qu'il n'en n'existait qu'une qui pouvait raisonnablement satisfaire le besoin : refaire une nouvelle étude de la stabilité des ancrages et redimensionner la plateforme. Pour Choï, c'était un billet conséquent. Pour John, c'était une nouvelle facturation. Il y avait un perdant, et il y avait un gagnant.

Si l'on était déjà d'accord sur le résultat, avait naïvement demandé David, quel était le but de passer trois heures à en discuter? C'était pourtant très clair, avait expliqué John : l'objectif était de donner à Choï une façon de tourner les évènements dans un sens qui ne le mettrait pas en défaut. Il fallait que ses choix techniques, ceux qui avaient conduit au potentiel blocage du chantier, ne puissent pas être remis en cause.

Le second objectif était quant à lui de formaliser l'irresponsabilité de l'équipe Canadienne dans cette affaire ; ceci afin que le surcoût total, que l'on avait estimé à plus de quatre cent soixante mille dollars, soit bien imputé au client Coréen.

La réunion se prolongea. On tenta de négocier avec les chiffres, de retourner le planning, d'inventer d'impossibles modèles de grues. On eut beau ne pas aimer la solution, rien d'autre ne se présenta.

A la fin de la matinée, John clos l'affaire en proposant une réduction substantielle sur la nouvelle étude, et on trouva finalement une manière d'absorber le retard dans le calendrier. Choï, dont la chemise s'était peu à peu décorée d'auréoles, accepta non sans amertume la couteuse proposition Canadienne.

Un des manageurs relut le compte rendu, Choï en corrigea quelques passages, on libéra la salle.

L'après-midi serait faite de relectures, on finirait par signer. Même avec l'ajout de ce matin, le contrat était loin d'être le plus gros de sa carrière, mais il n'avait pas non plus perdu sa semaine. Bien au contraire, pensa John alors que le visage de Jung-Hyun revenait visiter son esprit.

David et lui passèrent les portes automatiques du siège de leur client, soudain accueillis dehors par une bourrasque chargée de pluie. On se félicita discrètement pour le succès de la réunion tout en s'avançant dans la rue passante.

- Ne m'attends pas pour manger, je dois trouver des souvenirs pour ma chérie et mes filles, fit David.

- T'as raison, profites-en, répondit John. Mes grands à moi, ça les intéresse plus les babioles de voyage.

Quant à Louise, plus rien ne lui faisait plaisir depuis longtemps. Il avait, à un moment donné, pris l'habitude de toujours ramener de déplacement quelque chose pour sa femme. C'était presque devenu une sorte de rituel dont ils s'amusaient.

Souvent pris par le temps, souvent loin des sites touristiques, souvent hors saison, n'importe quel objet faisait l'affaire. Plus le bibelot était singulier, plus on se réjouissait. Ainsi le couple avait dédié un meuble de leur salon à l'exposition de la dernière trouvaille que John ramenait de l'étranger. A chaque retour, on renouvelait cette exhibition temporaire lors d'un cérémonial codifié par Louise.

Cette étagère s'était au fil du temps faite l'hôte de curiosités tantôt splendides, parfois incongrues qui servaient d'excellents points de départ aux conversations lorsqu'ils invitaient du monde. Un calice en argent finement ciselé venu du Cambodge, une reproduction en résine vert fluo d'une pyramide Inca, une sorte de Harpe traditionnelle Kenyane dont on avait jamais su le nom exact, la sculpture d'un artiste local d'un village de l'Iowa représentant un personnage mi-femme mi-truie faisant du lasso avec une guirlande de saucisses...

Parmi la multitude d'objets, c'était sans doute le masque théâtral Hyottoko, figé dans son expression d'une extravagance stupéfiante qui avait remporté la palme. Le masque de bois avait d'ailleurs tellement plu que l'ainé de ses garçons en avait fait le sujet d'un exposé en classe.

Et puis les déplacements s'enchainant, ces choses avaient fini par remplir un placard entier. Un jour on déménagea, et on ne pensa plus à remettre à jour la statuette indonésienne du salon, trouvant d'ailleurs qu'elle allait parfaitement avec le coloris de la tapisserie.

Des années plus tard elle y était toujours ; observant, jugeant de son air malcommode les allers-venus de John et le lent effondrement du couple.

Le canadien repensait à ces premières années. A se regarder aujourd'hui, il lui était difficile d'imaginer les moments de complicité heureuse qui avaient cimenté sa relation avec Louise. Qu'est que ces souvenirs lui inspiraient? John cherchait à le définir. Une façon de nostalgie, peut-être, comme une étincelle froide qui ne rallumerait aucun feu.

Il lui semblait à présent que John et Louise étaient morts il y a dix ans. Tous deux étaient devenus des personnes différentes qui ne s'aimaient plus.

Déserté par son collègue, John avalait son déjeuner. Attablé dans un minuscule restaurant qui l'abritait de la pluie, il s'était essayé à commander un plat à l'aide d'un dictionnaire. N'arrivant décidément pas à se faire comprendre la conversation s'était soudainement arrêtée lorsqu'on l'avait invité à s'assoir. Et puis, un bibimbap était arrivé à sa table.

Son téléphone vibra. Jung-Hyun lui indiquait qu'elle était toute proche. Ils avaient prévu de se rejoindre dans un parc du centre de Gwangju qui se situait non loin de là.

John regarda par l'étroite fenêtre carrée face à sa table, la pluie battante s'était changée en fines gouttes qui ruisselaient tristement sur les surfaces de béton grises.

« On peut plutôt se rejoindre dans un centre commercial? » proposa-t-il. Jung-Hyun refusa, il y avait dans ce quartier trop de chances de tomber nez à nez avec une connaissance. Au contraire, abrités sous un parapluie dans un parc quasi désert, le couple serait parfaitement méconnaissable.

***

Un quart d'heure plus tard, Jung-Hyun patientait sur le chemin face à un petit étang paysagé. Serrant son parapluie entre ses doigts, elle aperçut John qui arrivait enfin.

Cette montagne occidentale portait un trenchcoat couleur crème et de son pas décidé il semblait faire rouler la terre sous ses pieds. Elle observa, non sans une certaine fierté, son amant qui venait à elle en fendant la pluie et le souffle automnale.

Il arrêta sa marche. Son imposante silhouette semblait soudain rendre la coréenne toute petite. John la salua respectueusement, elle répondit par un sourire plein d'une jubilation retenue. Puis sans un mot elle souleva l'encolure du trenchcoat de son homme et examina sa tenue. Elle constata avec grande satisfaction que l'ensemble jeans T-shirt qu'elle l'avait vu porter ces derniers jours avait laissé place à un costume très bien mis. Son canadien, jugea-t-elle, était d'une élégance telle qu'on l'aurait volontiers fait ministre.

Et cependant, un frisson parcourait sa nuque. C'était la première fois qu'elle le voyait en habits de travail et soudain l'aura qu'il dégageait devenait intimidante. Par une inspection rapide elle estima que plusieurs milliers de dollars se trouvaient dans la chemise, le manteau, le pantalon et la veste seuls. Ses chaussures? Du même standing. Elle remarqua de surcroit une pince de cravate aussi discrète que précieuse provenant sans nul doute de la place vendôme à Paris. Elle reconnut la prouesse du canadien, jugeant que peu d'hommes étaient capables de porter de tels accessoires sans que ce luxe ne devienne ridicule.

De son côté, son mari n'était définitivement pas pauvre. Aurait-elle pourtant jamais pu l'imaginer avec une montre Omega au poignet? En cet instant sous le parapluie qu'ils partageaient, elle se sentait comme projetée dans une de ces innombrables comédies dramatiques ou une employée modeste finit par sortir après mille péripéties avec un charmant et richissime président d'entreprise.

--Tu n'as pas attendu trop longtemps? fit-il, brisant enfin le silence.

Elle le sentait explorer son visage des yeux. Est-ce qu'un homme comme lui pouvait la trouver attirante? Dans les séries romantiques l'actrice était toujours d'une beauté parfaite, déguisée sous une couche de maladresse pour compliquer l'intrigue. Et elle? Est-ce qu'elle n'était pas quelconque?

Le couple engagea sa marche autour du parc. Comme prévu, le parapluie qui les abritait les rendait parfaitement anonyme alors que le ciel avait fait son affaire de vider les rues de leurs passants.

On se plaignit du peu de temps que leur laissait la pause déjeuner. John, qui avait consulté son agenda, lui demanda ce qu'elle ferait en février prochain. La lueur lointaine de le revoir la réchauffait et lui pinçait le cœur en même temps.

Il faudrait donc attendre février pour qu'il lui revienne? Qu'étaient cinq mois, après tout, face à tant d'années de solitude? Ce n'était presque rien. C'était cent cinquante-trois fois le temps de mourir. Demain déjà, il la rendrait à la monotonie et à l'étroitesse de sa vie.

Cependant un point plus urgent agitait son esprit. Cela faisait cinq jours de suite qu'ils se retrouvaient secrètement, qu'ils faisaient l'amour, trahissaient leur planning et leurs époux au prix d'astuces et de mensonges pour se faire disparaître le temps de commettre leur délicieux délit. Mais Jung-Hyun commençait à manquer de ressorts pour justifier ses absences. Sortir de ses habitudes, demander une fois de plus la garde de Jin à ses beaux-parents, prétexter un autre repas d'entreprise... En une semaine, et étant donné le peu de sympathie que lui accordait sa belle-mère, tout cela devenait vite bancale et sujet aux suspicions.

John compatissait, mais que pouvait-il de plus? De son côté, personne ne lui en voudrait de ne pas se joindre aux collègues pour le dîner. D'ailleurs, la perspective de passer la soirée face à un Choï aviné, harcelant sa traductrice ne l'enchantait absolument pas. D'autant qu'il venait de le délester d'une somme conséquente et que cet homme désagréable à tout égard serait assurément infect. Alors, jugea-t-il, David se débrouillerai très bien sans lui.

--Et tes parents, fit John pour changer de sujet, ils vivent toujours sur la côte?

Jung-Hyun s'étonna qu'il se souvienne de ce détail. Oui, expliqua-t-elle, ils vivaient toujours dans sa maison d'enfance à une petite heure de route d'ici. Son père possédait une concession automobile qu'il était enfin parvenu à vendre après avoir passé cinq ans à chercher un acquéreur. C'était une ville modeste, alors il avait été difficile de s'en séparer à bon prix. A présent ils vivaient assez bien de la somme de cette vente complétée de la retraite d'employée municipale de sa mère. Dans leur commune rurale, cela leur était suffisant.

--Ils sont encore en forme, alors ils profitent de leur temps. D'ailleurs ça fait deux semaines qu'ils sont partis en pèlerinage...

Mais Jung-Hyun s'interrompit en stoppant soudainement sa marche. John la dévisagea d'un air inquiet. Elle tourna le visage vers lui, écarquillant les yeux :

--Le courrier n'a pas été pris! Et leurs plantes pas arrosées... Je devais y aller ce weekend, mais nous devons nous rendre aux obsèques d'une grande tante de mon mari!

--Ah, eh bien... Toutes mais condoléances.

Elle regardait dans le vide, la tête soudain bouillonnante de desseins.

--On ne l'a appris que cette semaine...

Jung-Hyun se frappa la paume d'une main avec le poing dans un geste triomphal. John releva les sourcils, interloqué.

--Encore un membre de ta belle-famille que tu n'as pas l'air d'apprécier, fit-il avec un sourire incertain.

--Quoi, la grande tante? Je n'en sais rien, je ne l'ai jamais rencontrée. Non, ce que je veux dire, c'est qu'il faut que j'y aille ce soir.

--Ce soir?

--Oui, et je vais t'emmener avec moi!

Jung-Hyun, grandement inspirée par le projet, lui proposa de passer la nuit là-bas. L'idée aussi spontanée que surprenante gagna l'esprit de John et se changea en calcul. S'ils partaient suffisamment tôt le lendemain John pourrait être de retour pour attraper son train à Gwangju, il faudrait qu'il rende les clés ce soir et qu'il emmène sa valise avec lui. Mais après tout, cela fonctionnerait.

A 19h, Jung-Hyun passerait le prendre à bord de sa Kia, puis ils partiraient ensemble vers la côte.

Le plan s'exécuta. A l'heure dite, ayant enfin terminé sa déplaisante après-midi face à Choï, John avait rendu son appartement. Il avait ensuite chargé sa valise dans le coffre de la voiture de son amante et le couple s'était élancé sans attendre en direction de sa maison natale.

Jung-Hyun se félicita de la tournure des choses. Elle n'avait même pas eu à mentir à quiconque, simplement à omettre la présence d'un passager pour ce voyage de dernière minute. Les beaux-parents éplorés s'étaient vu remettre Jin sans poser de questions ; face à ces événements imprévus, il fallait bien se montrer arrangeant.

***

Le trajet d'une cinquantaine de minutes se termina par de petites routes parfois chaotiques et mal éclairées. Fonçant nonchalamment à travers les chemins obscurs, Jung-Hyun dépassa quelques maisons esseulées, évitant savamment les nids poules qui jonchaient les dernières routes abimées.

Mais la femme ralentit car enfin, un muret percé d'un petit portillon leur fit face dans la vive lumière des phares. Le lieu était sombre et désert, il parut à John comme le repère de quelques fantômes que leur venu effarouchait.