Promenade en Nomen's land

BÊTA PUBLIQUE

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A Fontainebleau. Bon, à plus tard, je vais vous faire descendre en cardio pour des examens plus poussés, il faut tirer ça au clair.

La dessus le toubib tourne les talons et referme la porte derrière lui.

Quelle affaire pour une balade dans un bois! Les gardes forestiers, puis les gendarmes et enfin on termine à l'hosto! Ah! Oui j'oubliais, on est plus au mois de Mai!

Mon corps se met à trembler comme si j'avais froid, une sueur froide envahit mon front et tous mes membres vibrent inexplicablement sans que je puisse plus les contrôler. L'évocation de ce trou de quatre mois dans mon existence éveille en moi des craintes et des spéculations qui dépassent et de loin tout ce que l'on peut imaginer.

Qu'ai-je fait durant tout ce temps? Et ma femme qu'aura-t-elle fait? Elle m'aura sans doute cru mort. C'est affreux de penser à tout cela en même temps.

Ma vie a été entre parenthèse pendant quatre mois, je n'ai pas vécu ce temps, il y a une coupure dans ma vie que je ne peux pas assumer. Quand j'essaie de me souvenir, tout se dérobe, aucun indice qui me raccroche à une réalité tangible. J'angoisse de ne pas maîtriser une période de ma vie : comment l'ai-je vécu? Et si j'avais commis un ou plusieurs meurtres durant cette période? C'est sans doute pour ça que je l'occulte! Je suis un criminel et les gendarmes qui m'ont conduit ici ne tarderont pas à me confondre.

Je tremble entre les draps blancs de l'hôpital et c'est ainsi que me trouvent les deux infirmiers qui viennent avec un brancard pour me conduire en cardio. Je sursaute quand ils toquent à ma porte, m'attendant à voir apparaître les gendarmes les menottes à la main.

Ils ont vu mon regard apeuré et ils se méprennent sur le sens de ma frayeur, ils me rassurent, ce n'est absolument pas douloureux.

Tout en poussant mon brancard à travers les couloirs blafard de l'hôpital, ils plaisantent entre eux, ce sont des martiniquais rigolards qui me drivent avec adresse jusqu'en cardiologie où une infirmière blasée me reçoit et commence à poser les électrodes sur mon thorax.

Je l'entends derrière moi brancher les câbles à l'enregistreur et essayer la machine qui produit un feulement mécanique.

Quand tout est prêt, elle lance l'enregistrement et la machine se met à crépiter. J'entends l'infirmière derrière moi qui marmonne, elle arrête l'engin et vérifie ses branchements.

Ca repart dans les crépitements, nouvel arrêt, nouvelle vérification du matériel. Cette fois elle le fait avec plus de précaution, elle refait ses branchements, parait satisfaite et l'examen est relancé.

François!!!!

Elle gueule derrière moi. Des pas dans le couloir.

Qu'est ce qui se passe?

François, viens voir.

Nouveaux crépitements de l'électrocardiagraphe.

T'es sure de toi?

Oui j'ai vérifié trois fois!

François trifouille les fils électriques.

C'est quoi ce délire?! Merde! Je n'ai jamais vu un truc pareil!

Je les regarde l'un après l'autre, ils sont sidérés de ce qu'ils voient.

Je peux savoir?

Oui, d'après l'électro, vous devriez être mort! On n'a jamais vu quelqu'un avoir un tel rythme cardiaque.

Vous êtes sur?

Oui monsieur!

J'appelle le patron? C'est l'infirmière qui a parlé.

Non attends encore on va le refaire.

A quoi bon, j'ai déjà vérifié.

Tant pis je recommence. Et François me replace les électrodes, il les relie à l'enregistreur, vérifie le fonctionnement et c'est reparti pour le même résultat, je ne devrais pas pouvoir vivre avec un tel rythme cardiaque.

L'infirmière est déjà partie, elle revient peu de temps après avec un homme aux cheveux blancs et aux lunettes d'écaille, très patron de service. Ils parlent ensemble tous les trois avec une certaine fébrilité, le dernier arrivé regarde les courbes en se massant le menton. Lui aussi éprouve le besoin de tout revérifier, de refaire un enregistrement pour un résultat similaire aux précédents.

Ca alors! Finit par proférer le patron qui vient s'asseoir près de moi.

Vous vous sentez bien monsieur?

Un peu fatigué mais pas trop mal.

Sans répondre il a pris un stéthoscope et il m'ausculte longuement, écoutant mon cœur qui bat à l'envers et qui pourtant me maintient en vie.

Quand il le pose, sa moue reflète son désarroi.

Le dénommé François s'approche alors et lui suggère de me faire un électrocardiogramme d'effort.

On risque l'accident.

En y allant molo.

Le boss hausse les épaules, on prend un risque quand même.

Non, on va prendre toutes les précautions nécessaires.

Il est intrépide le François, surtout si ce n'est pas sa peau! J'assiste à toute la discussion entre les médecins qui finissent par me demander mon assentiment. Bah, pourquoi ne pas tenter, après tout je suis en milieu médical et bien placé pour être soigné rapidement en cas de pépin.

Bon! Allons y.

Cent cinquante watts!

Oh! Venez voir la courbe change!

Ce n'est pas possible!

Et si elle a changé regardez!

Ca va monsieur?

Oui oui je vais bien et je pédale bien à l'aise sur ma bécane.

On monte un peu?

Cent soixante dix watts, vas y.

Ca va toujours?

Pas mal et vous?

Regardez la courbe redevient normale!

Extraordinaire!

Vous ne fatiguez pas?

Pas pour l'instant ; il me reste quelques forces.

Deux cents watts?

Vas y pour deux cents

La courbe est tout à fait normale maintenant.

On reste à deux cents un petit moment.

Ils retiennent leur souffle devant l'enregistreur qui semble se stabiliser et leur donner les courbes qu'ils attendent.

Deux cent vingt.

L'infirmière tourne la molette qui durcit les pédales et ma cote devient un peu plus raide.

R.A.S. dit François tandis que le patron regarde par-dessus ses lunettes d'écailles.

Je commence à transpirer et le staff s'en rend compte.

Bon! Dit le patron on va redescendre doucement, deux cents watts.

François libère un peu la machine et je me remets à pédaler allègrement pendant que les trois ont les yeux rivés sur l'enregistreur.

La courbe est stable, descends à cent quatre vingt.

Mon pédalage devient léger et je sens le rythme cardiaque s'apaiser, mes trois compères regardent toujours leur machine avec autant d'attention.

C'est toujours bon, dit le patron mets cent cinquante pour voir?

François tourne la molette et les pédales sont encore plus légères sous mes pieds. L'instant est critique, je sens la tension des scientifiques tout à fait palpable.

Oh! Regardez! La courbe commence déconner!

C'est François qui a réagi le premier, il est fébrile et de son crayon il coche le papier de l'enregistreur au moment ou le changement s'opère. Le patron murmure doucement « Qu'est ce que c'est que ça! » Il a le nez sur la feuille lui aussi, il la fixe incrédule.

Vous vous sentez bien monsieur?

C'est François qui me pose la question.

Oui ça va, un peu fatigué quand même mais ça va.

Ils me regardent tous les trois d'un air inquiet et je les dévisage l'un après l'autre. François parait exalté par ce rythme cardiaque anormal, le patron me regarde avec méfiance et l'infirmière parait navrée de ce qui m'arrive. Je les regarde à tour de rôle, gêné de leur poser un problème apparemment insoluble qui met en échec leur science si bien huilée d'habitude.

Bon! On pose un holter.

C'est le patron qui vient de parler et aussitôt dit aussitôt fait, je repars de la cardio appareillé d'un enregistreur qui va me surveiller pendant vingt quatre heures.

Quand je regagne ma chambre, une surprise m'attend puisque ma femme est la qui me tombe dans les bras en pleurs. Les effusions durent à n'en plus finir et je finis par moi aussi verser des larmes tant son émotion est communicative et intense. Elle a eu peur bien sur, elle m'a cru à jamais perdu et une disparition sans trace est encore plus douloureuse à vivre qu'un accident. Visiblement elle est atteinte nerveusement et les médecins présents nous assurent qu'ils vont faire le nécessaire pour elle en assurant notre confort, car il est évident qu'elle restera là le temps de mon hospitalisation.

Quand nous sommes enfin seuls, elle me pose bien entendu la question :

Où étais tu pendant tout ce temps?

Je ne sais pas! Pour moi nous devrions être le treize ou quatorze Mai, je suis allé me promener dans le bois de Verrières, point!

C'est incroyable!

Je n'y comprends rien non plus. Et de lui expliquer mon malaise dans le bois, ma perte de connaissance, mon retour à la conscience en forêt de Fontainebleau et mon sauvetage par les gardes forestiers. Elle me regarde les sourcils froncés.

Et cette tache sur ton front?

Figures toi que j'ai la même sur le ventre! Je lui montre, elle me demande encore si cela me fait mal, je hoche la tête, pensif et un peu désabusé de tout ce qui m'arrive.

Commence alors un long monologue ou elle me fait le bilan des quatre mois précédents, ses démarches, ses craintes, se affres, les suspicions de toutes sortes, les nuits blanches, les espoirs et les désespoirs. Quand elle s'arrête enfin, je la regarde et je lui demande pardon pour tout ce mal que je lui ai fait, involontairement sans doute, mais quand même.

Longtemps dans la nuit nous avons cherché le pourquoi cette disparition sans trouver un indice satisfaisant. J'ai eu beau faire appel à tous mes souvenirs, au moindre indice, à chaque seconde de cette promenade, rien qui n'ait pu apporter un début d'explication.

Les résultats du holter n'ont pas apporté davantage d'éclaircissement, mon cœur bat anormalement. Des radios du cœur ont été faites, j'ai vu d'autres médecins et des éminents, venus de Paris et tous ont regardé mes résultats en se tenant le menton, dubitatifs.

En huit jours d'hôpital, j'ai récupéré physiquement assez de force. Ma tension artérielle est remontée à un niveau normal et mon cœur a battu chaque jour sous la haute surveillance de la faculté sans que celle-ci n'y trouve grand-chose à y redire. De guerre lasse, un beau matin le chef de clinique m'a signé mon bon de sortie et j'ai fermé la porte de cette aventure derrière moi.

*

J'ai retrouvé mon chez moi, mes habitudes, mais pas le repos. On ne perd pas quatre mois de sa vie sans se poser mille questions. Pourtant le temps efface bien des choses dans le corps et dans l'âme. Un matin, mes tâches rouges ont commencer à se résorber et une semaine plus tard toute trace avait disparu de mon visage.

Un jour, j'ai décidé de refaire le chemin de ma promenade malgré toute mon appréhension. J'ai convaincu ma femme de m'accompagner et nous sommes partis pour le bois de Verrières. C'était l'automne et les arbres étaient parés d'or et de brun, une belle journée pour une balade au grand air. Les rares marcheurs que nous avons croisés n'auraient jamais pu imaginer mon appréhension et puis ma crainte et puis ma frayeur au fur et à mesure que mes pas se rapprochaient du lieu de mon évanouissement. Ce jour là, le bois avait retrouvé depuis fort longtemps son calme séculaire mais je sentais dans chaque tronc d'arbre une hostilité que je ne savais définir. J'ai caché au mieux cette crainte injustifié mais ma femme, fine mouche, et me connaissant bien m'a jeté un regard inquisiteur.

Ca ne va pas?

Si, si je te jure!

Je vois bien que ça ne va pas!

Ca va se passer, on est près de l'endroit où j'ai vu la biche au milieu du chemin, tiens c'est la!

Oh! Ton front!

Quoi mon front?

La tâche! Elle est revenue!

Quoi?!!!

Puisque je te le dis!

Ma femme a fouillé fébrilement son sac à la recherche de son poudrier, elle l'a ouvert et m'a tendu le miroir. Au milieu de mon front la tâche était revenue, rouge et parfaitement visible, d'autant plus que ma pâleur était cadavérique.

Ce n'est pas possible! Ai-je murmuré! Viens, viens vite, quittons ce bois, la biche va revenir, je le sens! Viens cours, la voiture est la, pas loin.

Et j'ai couru les trois cents derniers mètres de notre promenade. Quand ma femme m'a rejoint auprès de la voiture, j'étais encore essoufflé et ma pâleur toujours aussi impressionnante.

Elle m'a regardé d'un drôle d'air.

Ce sont les biches qui te mettent dans cet état?

Non, pas LES biches, LA biche.

En fronçant les sourcils elle m'a regardé et j'ai lu dans ses yeux toute la crainte peinte sur mon visage. Elle m'a pris le visage entre les mains et m'a embrassée.

Allons, ne traînons pas ici, rentrons.

Comme j'étais trop nerveux, elle a pris le volant pendant que je m'efforçais au calme sur le siège près d'elle. Dans ma tête, une tâche brune remontait en surface petit à petit, une forme floue dont les contours se précisaient pour prendre la forme d'une biche aux yeux noirs en amande, étirés sur les cotés de sa tête et son regard se tournait vers moi.

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