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Audrey doit laisser son passé derrière elle.
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Trois semaines à peine qu'ils étaient arrivés, le cauchemar lui semblait à la fois si proche et si loin. Celle qu'elle avait été, à la fois familière et étrangère. Peu à peu elle semblait s'adapter à cette nouvelle existence mais une peur sourde l'habitait. Afin de se rassurer, son regard balaya les pâturages à la recherche de la silhouette de son compagnon. Christian, c'est ainsi qu'elle devait l'appeler maintenant. Elle, se nommait désormais Audrey. C'est Christian qui avait choisi ce nom. Elle n'arrivait pas à se décider. Elle avait craint de se tromper, de ne pas bien choisir. De devoir porter le reste de ses jours un nom que, finalement, elle n'aimerait pas. Un nom auquel elle n'arriverait pas à s'identifier. Elle aimait bien Audrey, le choix avait été judicieux. Cette fois encore, elle avait eu raison de lui faire confiance.

Jetant un coup d'oeil à sa montre, elle se leva d'un bond. Si elle voulait que le repas soit prêt lorsqu'il rentrerait, elle devait s'y mettre maintenant. Un sourire effleura ses lèvres. Elle s'amusait de réaliser qu'elle avait cuisiné plus souvent dans les trois dernières semaines que dans les 29 années qui composaient son autre vie, celle qui avait tourné au cauchemar. Elle ne s'en tirait pas trop mal, enfin, elle le croyait. Bien sûr le menu n'était pas très varié mais elle se procurerait des livres de cuisine. Elle saurait apprendre. Bientôt. Dès qu'elle trouverait le courage d'aller jusqu'à la ville voisine. Pour le moment elle avait encore trop peur, encore besoin de savoir que Christian était là tout près. Juste au cas où ils les retrouveraient. Même sachant qu'il serait alors déjà trop tard. Elle ne voulait pas être seule si l'éventualité se présentait. Elle secoua la tête, s'efforçant de chasser ses idées noires, et se mit au travail pensant qu'il aurait sûrement faim à son retour.

Elle terminait à peine de mettre le couvert lorsque le bruit de la porte la fit sursauter.

" Humm! Ça sent bon. Je meurs de faim. "

Elle sourit. Il avait toujours un mot gentil à la bouche.

" J'ai le temps de prendre une douche rapide? "

" Oui, bien sûr. Vas, je t'attends. "

Elle sortit couper des fleurs pour en remplir un vase. Elle apprenait à prendre plaisir à ces petites tâches qu'elle n'avait jamais eu à exécuter elle-même. Christian avait d'abord insisté pour qu'ils engagent quelqu'un mais elle avait refusé, argumentant qu'elle aurait besoin d'occuper son temps, qu'il faudrait expliquer les deux chambres. Il avait fini par céder mais en lui soutirant la promesse d'engager quelqu'un immédiatement si elle trouvait ces tâches trop lourdes.

Elle terminait son arrangement floral lorsqu'il la rejoignit dans la cuisine. Elle le regarda s'installer du coin de l'œil tout en prenant conscience de l'étrangeté de cette intimité. Elle le voyait se tortiller sur sa chaise, visiblement le silence lui pesait. Elle n'avait jamais été douée pour la conversation. Enfant unique, issue de parents plus ou moins indifférents, elle n'avait pas appris l'art du babillage. Elle soupçonnait d'ailleurs que cela expliquait pourquoi elle avait eu si peu d'amis. Elle faisait des efforts.

" Les premiers chevaux arrivent demain, n'est-ce pas? "

" Oui. Les quatre premiers seulement, un étalon et trois juments. "

" On va en avoir beaucoup? "

" Je sais pas. On va commencer petit, avec le temps peut-être qu'on prendra de l'expansion. Pour le moment une quarantaine seulement, ensuite on verra. "

Elle avait encore de la difficulté à visualiser ce futur qui pourtant lui appartenait, n'arrivait à faire des plans que pour le lendemain, comme si chaque jour était une grâce qui leur était accordé et que de prévoir pour un mois, une semaine même, serait tenter le destin. Elle aurait aimé savoir si lui il y arrivait ou s'il vivait également dans l'appréhension. Le repas se termina dans le silence.

Les mains de Christian voltigeaient d'un objet à l'autre pendant qu'elle rangeait, touchant à tout se qui se trouvait à proximité sur le comptoir sans toutefois réellement déplacer quoi que ce soit. Elle avait l'habitude de le voir s'agiter lorsqu'il se trouvait seul avec elle mais ce soir il semblait particulièrement nerveux. C'était d'une tristesse de voir cet homme, grand et fort, qui semblait perdre tous ses moyens en sa présence. Elle dû attendre qu'ils se soient installés au salon avant qu'il se décide enfin à partager ce qui le tracassait.

" Audrey, y'a pas que les chevaux qui arrive demain. Tu sais le couple qu'on a engagé pour nous aider avec l'élevage? Ceux qui vont habiter la maison secondaire? "

" Oui...? "

" Eux aussi arrivent demain. "

" Oui, je sais. "

" Ben, je me disais que comme on est supposés être marié, il vaudrait peut-être mieux discuter de comment on va agir devant eux. Ensemble, je veux dire. "

" Je voit pas très bien où tu veux en venir Christian? "

" Je crois qu'il faudrait s'entendre sur notre comportement l'un envers l'autre lorsqu'il y aura d'autres gens présents. Un couple de jeunes mariés qui ne se touchent jamais, ça me semble pas très plausible. "

" Non, effectivement. Je vois ce qui t'inquiète. "

Elle lui sourit, doucement, en hochant la tête pour bien marquer qu'elle comprenait. Cela eu pour effet de le calmer un peu, assez du moins pour qu'il prenne le temps de s'asseoir face à elle, et d'y rester cette fois, avant de prendre la parole à nouveau.

" Je crois pas qu'on ait besoin d'être très démonstratifs. Ils ne savent rien de nous, on pourrait être des gens réservés. Tu sais le genre qui ne s'embrassent jamais en public? "

" Oui, ça pourrait bien être notre genre. "

" Mais je crois quand même qu'un petit geste ici et là. Enfin, on est des nouveaux mariés. Il faudrait quand même qu'il y ait de petits contacts, de temps à autre. "

" Comme de se tenir par la main, par exemple? "

" Exactement. "

" Oui. Bien sûr, je suis tout à fait d'accord. "

Elle le vit pousser un grand soupir de soulagement en s'affaissant vers l'arrière dans le fauteuil qu'il occupait.

" Christian, tu sais, tu n'as pas besoin de t'inquiéter de ma réaction si tu me touches. Tout va bien, je t'assure. Ça ne me pose aucun problème. "

" Ok. "

" On ne serait pas ici, ensemble, si je n'avais pas confiance en toi. Mais tu avais raison, c'était une bonne idée d'en parler avant. "

" Ouais, j'suis content qu'on en ait parlé. Soulagé en fait, ça fait quelques jours que ça me chicote et je savais pas trop comment aborder le sujet. "

Elle le regarda se gratter la tête en regardant à droite et à gauche, n'importe quoi pour éviter son regard, pendant que le silence s'installait à nouveau.

" Dis, Audrey, ça t'embêtes si je travaille un peu sur les plans de la nouvelle écurie? J'ai pensé à une ou deux modifications que j'aimerais bien y apporter. "

" Non, vas-y, je vais lire un peu. "

Elle le regarda se lever et s'installer au bureau qui meublait la pièce adjacente. Elle aurait eu envie d'aller se planter derrière lui, d'envelopper ses larges épaules dans ses bras pour lui offrir tout le réconfort dont ils avaient tous deux tant besoin. Un bout de papier prouvait, devant la loi, qu'ils étaient un couple.

Son mari, pas Christian, non, son vrai mari, celui qu'elle avait épousé dans son autre vie, reposait derrière les barreaux. En théorie, il ne pouvait plus lui faire aucun mal. Elle savait bien qu'en réalité il devait avoir mis des hommes à sa recherche. Rien n'arrête un homme de sa tempe, surtout lorsque animé par le désir de vengeance. C'est Christian qui avait tout choisi de leur nouvelle vie, pris toutes les décisions. C'était préférable ainsi, éliminant le risque que son mari puisse déduire ses choix, les retracer plus facilement. Il la connaissait bien, il connaissait la logique dont elle usait dans ses prises de décisions. Elle n'aurait jamais eu le courage de choisir une existence où tout lui était inconnu. C'était pourtant ce qu'il y avait eu de mieux à faire.

***

Appuyée sur la clôture, elle l'observait de loin. Plan en main, il faisait de grands gestes désignant la construction qui deviendrait l'écurie principale. Le couple d'employés, arrivé le matin même, l'accompagnait. Son regard détailla Christian. Elle ne le trouvait pas vraiment beau, non. Mais derrière ses traits ordinaires elle avait à quelques reprises aperçu quelque chose qui pouvait être de la douceur, de la tendresse. Quelque chose qui lui était inconnu, dont elle avait envie. Elle poussa un soupir en pensant que toute son existence désormais lui était inconnu, Christian également.

Deux étrangers, mari et femme sur papier, qui n'avaient rien, ni personne en commun. L'agence chargé de les re-localiser s'était d'ailleurs opposé à leur décision de rester ensemble, trop risqué qu'ils avait dit. Elle ne savait pas de quels arguments Christian avait usé pour qu'ils acceptent que leur nouvelle vie soit commune, elle n'en avait d'ailleurs que faire. Ce qui comptait, c'est qu'elle n'avait pas à y faire face seule. Tout valait mieux que d'être seule, même la présence de celui qui avait tout fait basculer.

" Audrey, viens je vais te présenter. "

Rappelée à l'ordre par Christian, qui lui faisait de grands gestes pour l'attirer vers eux, elle abandonna le fils de ses pensées pour s'avancer vers le petit groupe qui l'attendait.

" Salut, je suis Audrey. "

" Salut moi c'est Jean et voici ma femme Brigitte. "

" Enchantée. Christian me dit que vous avez beaucoup d'expérience dans le domaine de l'élevage? "

Alors que la conversation se poursuivait, Audrey laissa ses doigts courir le long du bras de Christian pour aller timidement enfouir sa main dans la sienne. Elle était légèrement moite, témoignant de la nervosité de Christian. Elle exerça une faible pression pour lui indiquer que tout allait bien. En réponse il enserra plus fermement sa main dans la sienne. Elle prit plaisir à la callosité de cette chair unit à la sienne, plus tendre. Un léger frisson parcouru son bras tandis qu'un rassurante chaleur se dispersait lentement dans sa main.

***

Il était allongé de travers sur le canapé, la tête reposant sur un des accoudoirs, une jambe passé par-dessus le dossier alors que l'autre pendait dans le vide au bout du canapé. Il était absorbé dans sa lecture. Sous le couvert de ses cils, Audrey le détaillait. Ses yeux s'arrêtèrent sur son entrejambe. Son jeans mettait bien en évidence la protubérance qui s'y trouvait. Elle connaissait intimement ce qui s'y cachait. Chaque détail de ces quelques heures s'était imprimé dans sa mémoire. Ce membre, qui se cachait sous le jeans, elle l'avait caressé, elle y avait apposé ses lèvres, elle en avait sucé la longueur. Elle l'avait senti grandir, durcir, contre sa langue. Puis ce membre l'avait pénétré avec une violence feinte pendant que les lèvres de cet homme lui murmurait à l'oreille qu'il était désolé, qu'il n'avait pas le choix. Elle savait qu'il portait la honte de cet acte chaque jour et que chaque fois qu'il posait les yeux sur elle la culpabilité devait se répandre en lui. Mais elle, elle aurait voulu lui dire de ne plus avoir honte. Elle aurait voulu s'approcher, extraire son pénis de son pantalon et y apposer les lèvres encore une fois. Elle aurait voulu le baigner de ses baisers jusqu'à ce qu'il ne reste rien de laid dans cet acte qui le hantait. Elle aurait aimé qu'il comprenne qu'elle avait cru à ces mots qu'il lui avait murmuré à l'oreille pendant que son corps martelait le sien, labourant implacablement son sexe alors que sa bouche n'exprimait que regrets. Elle avait lu la détresse dans ses yeux, elle lui avait pardonné ses gestes avant même qu'il les accomplisse. Elle avait d'ailleurs été complice de cet acte. Elle aurait voulu lui expliquer, qu'il comprenne qu'il pouvait se décharger de ce poids. Elle aurait voulu. Elle avait envie de lui.

Elle poussa un soupir et se leva.

" Je vais me mettre au lit. "

Il leva le nez du livre qu'il tenait entre les mains et lui sourit.

" Bonne nuit! "

" À demain . "

***

Elle l'avait fait. Elle s'était rendu en ville toute seule aujourd'hui. Elle était fière de cette témérité qui avait su vaincre ses craintes l'espace de quelques heures. Enivrée de sa propre audace, c'est presque dans un état second qu'elle avait fait les courses. Bien sûr, ça n'avait pas duré. Attendant en ligne pour payer ses achats, elle avait réalisé que n'importe lequel de ces inconnus qui l'entouraient pouvait être à sa recherche. Ça n'avait pas duré, non, mais l'espace de quelques heures elle avait entrevu l'espoir. La possibilité que ça fonctionne, cette nouvelle vie, ce nouveau départ. Ce petit grain d'espoir, elle désirait le nourrir, le protéger, afin qu'il grandisse en elle.

Ses pensées l'amenèrent vers le moment où tout avait basculé. Cette nuit là, elle avait sentit une présence derrière elle alors qu'elle insérait la clé dans la serrure. Elle avait voulu se dépêcher et refermer la porte de sa résidence pour s'y réfugier. Elle n'en avait pas eu le temps. Une main avait appuyé un linge sur sa bouche puis, plus rien. Le néant. Elle s'était réveillé dans un lieu inconnu, menottée, bâillonnée. Un homme l'observait, celui qui se nommait maintenant Christian.

Il lui avait dit qu'il ne lui ferait pas de mal, lui avait demandé de ne pas crier, lui avait retiré son bâillon. Il lui avait dit qu'il l'amènerait au poste de police, qu'il s'y rendrait avec elle si c'était ce qu'elle désirait mais il lui avait demandé de l'écouter d'abord. Il lui avait raconté une histoire invraisemblable, une histoire vrai. Une histoire où son mari à elle échangeait une vie contre une autre. Une histoire où, contre une preuve, un vidéo où il verrait sa femme violée et étranglée, son mari rendrait sa liberté à une autre femme. Une femme que l'homme qui se tenait devant elle avait jadis aimé et qu'il ne pouvait laisser mourir. Une femme qui avait accumulé des dettes de jeu et dont la vie reposait entre les mains de son créditeur. L'homme qui était devenu Christian lui avait demandé son aide au nom de cette autre femme.

Le bruit de la porte d'entrée la ramena vers le présent. Déstabilisée un court instant, elle regarda Christian s'avancer vers elle.

" Ça va? "

" Oui, oui. "

" Tu m'as semblé très loin d'ici. "

Elle lui sourit doucement en hochant la tête.

" Tu veux venir voir les chevaux? Ils sont plus calme aujourd'hui, ils ont déjà oublié le stress du transport. "

" Tu vas rester auprès de moi? "

" Oui, bien sûr! Allez viens. "

Elle vit le geste interrompu. Elle sut qu'il avait voulu lui tendre la main pour l'entraîner vers l'écurie. Elle lu l'embarras sur son visage lorsqu'il surprit son propre élan. Une partie d'elle voulait lui tendre la main. Elle n'en eue pas le courage, elle fit comme si elle n'avait rien vu et tous deux se dirigèrent côte à côte vers l'écurie essayant de prétendre que rien n'avait été amorcé.

" C'est gros. " La nervosité perçait la voix d'Audrey qui se tenait à bonne distance de la jument dont Christian caressait les naseaux.

" Viens, n'ai pas peur. Elle est très douce. "

" N'ai pas peur, facile à dire. " Audrey fit néanmoins quelques pas, se postant juste derrière Christian et se hissant sur la pointe des pieds pour voir par-dessus son épaule. Fascinée, elle observa cette main qui cajolait l'animal qui, lui, semblait manifestement apprécier. Prise d'une irrésistible envie, se libérant du paravent qu'était le corps de Christian, Audrey avança la main avec hésitation. Un mouvement de la bête la fit reculer, buter contre le torse de Christian qui s'était déplacé.

" Elle ne te mordra pas. Elle veut seulement te sentir. " Christian plaça une main apaisante sur son épaule et, de l'autre s'empara de sa main crispée. Il l'ouvrit tout doucement. La gardant dans la sienne il l'approcha sans brusquerie du nez de la bête. Audrey lança vers Christian un regard inquiet mais ce dernier lui sourit calmement.

" Ai confiance. "

La jument huma la main présentée puis, lorsqu'elle fut satisfaite, d'un léger mouvement poussa son nez au creux de la main offerte.

" Elle veut se faire caresser. "

Rassurée par le contact rugueux de la paume qui enserrait sa main, Audrey se laissa guider. Le mastodonte acceptait paisiblement ses caresses. Elle fut étonné de la texture du poil de l'animal, s'était attendu à quelque chose de plus satiné. Fut ensuite surprise de découvrir à quel point le contact était soyeux tout près des naseaux. Audrey sentit l'émerveillement, ce sentiment si propre à l'enfance, la gagner.

Le soir venu, avec une curiosité naissante, elle bombarda Christian de questions sur les chevaux et l'élevage. Il se prêta au jeu avec patience et entrain, communiquant aisément sa passion, n'ignorant aucune question, si naïve fut-elle. Le silence, ne trouvant pas sa place habituelle entre eux, ne vint pas les troubler.

C'est avec un sentiment de sérénité que, plus tard ce soir là, se prélassant dans un bain, Audrey passa sa journée en revue. Elle sourit pour elle-même à la pensée qu'elle devenait peut-être une nouvelle femme, un être plus téméraire, capable du moins de faire faces à ses craintes. Celle qu'elle avait été n'aurait pas osé se rendre seule au village ce matin, n'aurait pas trouvé le courage de caresser l'animal imposant cet après-midi. Elle ferma les yeux fouillant sa mémoire à la recherche de ce moment précis qui correspondrait à la naissance d'Audrey, cette femme qu'elle découvrait en elle.

Elle le revit, accroupie au-dessus de son corps immobile, une détresse tangible au fond des yeux face à ce qu'il s'apprêtait à accomplir. Il avait baissé la tête, silencieux, comme perdu au fin fond de lui-même. Puis, il s'était levé, avait arrêté la caméra et s'était assis au bord du lit, la tête entre les mains. Au bout d'un moment il avait relevé la tête lentement, l'avait regardé et lui avait dit qu'il ne pouvait pas faire cela en désignant d'un geste sa queue flasque. Alors seulement elle avait compris qu'elle pouvait lui faire confiance, qu'il lui avait dit la vérité. Au lieu de laisser les choses lui arriver comme elle l'avait toujours fait, elle avait pris l'initiative, lui avait demandé de la détacher, avait tendu d'abord la main puis, la bouche et s'était empressé de redonner de la vigueur à ce membre désemparé. Il avait d'abord voulu arrêter son geste. Elle lui avait rappelé qu'il lui avait demandé son aide. Elle s'était remise à sucer ce membre qui, entre ses jambes à lui, tremblait de honte et, lentement, s'animait d'un désir taché de culpabilité. Il avait resserré ses liens, remis la caméra en marche et avait feint de la violer, de la prendre contre son gré. Elle avait feint de se débattre, de ne pas vouloir de lui. Il ne lui avait pas fait mal, ou si peu, à peine. Sur les lieux de ce théâtre déguisé en violence, par l'entremise d'une bouche qui lui murmurait des mots de réconforts à l'oreille, elle avait trouvé plus de douceur qu'elle n'en avait jusqu'alors connu avec un homme.

Audrey ouvrit les yeux et quitta l'eau tiède du bain. Elle se sécha lentement, tournant et retournant dans sa tête ce qu'elle envisageait de faire. S'enveloppant d'un peignoir, elle quitta la salle de bain et s'avança d'un pas hésitant vers la chambre de Christian. Laissant la porte du couloir entrouverte pour que la lumière puisse pénétrer, lentement, elle s'approcha du lit où il reposait. Couché sur le dos, un bras replié au-dessus de la tête, il dormait paisiblement. Vulnérable et, par ce fait, pareil à elle-même. Longtemps elle contempla le spectacle de cette homme endormi. Elle avança une main pour replacer une mèche de cheveux qui retombait sur ce front dont rien ne troublait le sommeil. Elle ne put résister et enfouie ses doigts dans sa chevelure. Il sursauta, mouvement qui la fit reculer de quelques pas. Fixant sur elle son regard, il ne fit aucun mouvement, ne posa aucune question. Comme si elle avait le droit d'être là, le droit de partager l'intimité de son sommeil.

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