Au Cœur Des Ailes Ch. 01

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Une Célelle et un Humain à la croisée des chemins.
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Le village côtier d'Armanne affichait une paisibilité étonnante en cette période de troubles.

Quelques centaines de mètres plus bas, les vagues s'abattaient sur les falaises de façon discontinue. La respiration de la mer était quasi inaudible de jour, en raison de l'activité humaine et notamment du tumulte causé par les innombrables interactions sur la place du marché. Bien évidemment, on y vendait des produits de la mer à bas prix, fruit des prises matinales et de la clémence divine, mais le contenu des étals ne se limitait pas aux poissons de toutes tailles et autres crustacés. On pouvait également trouver de la venaison, des céréales, de la volaille, des articles en cuir... et des articles en tissu.

Le responsable du stand, Laukas, regardait les passants d'un air maussade. Devant lui, les chemises, bliauds et robes pliés n'avaient pas été beaucoup froissés depuis l'aube. Ils attendaient là, pourtant, avec une patience inhumaine, que des mains curieuses les saisissent, les inspectent dans tous les sens, les essayent potentiellement puis leur offrent un bon prix qui illuminerait les yeux de l'artisan. L'homme de vingt-huit ans soupirait dans sa barbe naissante, conscient que le moment n'était pas le plus propice : les escarmouches redoublaient d'intensité à la frontière la plus proche, et on sentait dans l'attitude des villageois une certaine obsession pour les denrées de toutes sortes, au détriment des vêtements jugés moins vitaux si la situation venait à empirer.

En soi, le village d'Armanne ne serait probablement pas un lieu stratégique pour les forces ennemies. Certes, sa proximité avec la mer s'avérerait utile pour le commerce et les réseaux de communication, mais sa taille très modeste limitait grandement sa capacité et les possibilités. Les trente-quatre chaumières, érigées ici et là, pouvaient tout aussi bien brûler sans la moindre arrière-pensée, et le nombre similaire de fermes avoisinantes subirait alors le même sort.

Mais les invasions se suivent et ne se ressemblent pas, n'est-ce pas?

Lorsque Laukas sortit les caisses pour défaire son étal précaire, le crépuscule était déjà bien avancé. On entendait de plus en plus le fracas des vagues sur le granit en contrebas, face à une roche qui décidément ne bronchait pas en dépit des assauts maritimes incessants et ancestraux. Le couturier ne savait pas s'il allait revenir demain, compte tenu de cette journée assez pauvre en termes de productivité. Les quelques pièces obtenues se révéleraient précieuses, cela ne faisait aucun doute, mais le jeune homme ne pouvait produire indéfiniment des articles de moins en moins populaires. Il lui fallait aller dans une nouvelle direction, innover avec de nouveaux matériaux peut-être, afin d'appâter de nouveaux clients et relancer la machine.

Malheureusement pour lui, seule la laine était bon marché. Et il en avait une grosse quantité en stock.

Laukas rentra à l'atelier, pensif. Peu d'opportunités se présentaient à lui, à l'exception de potentielles tenues rembourrées et légères qui conviendraient à un certain type de combattants, notamment ceux qui préfèrent le confort et l'agilité à la solidité et l'encombrement des armures en métal. Il venait tout juste d'insérer sa clé dans la serrure qu'une silhouette difforme et encapuchonnée se détacha de l'angle de la maison pour venir à sa rencontre, timidement et d'une démarche mal assurée. Elle était recouverte d'un textile sombre, noir ou bleu foncé à la lumière des torches, qui dissimulait l'intégralité de son corps étrangement proportionné. Laukas recula et posa sa main sur la poignée de la dague accrochée à sa ceinture.

— Que voulez-vous? L'atelier est fermé, revenez demain.

Devant lui, l'individu s'immobilisa un court instant, puis bascula vers l'avant, tête la première contre la surface terreuse. Au cours de la chute, aucun son ne fut émis. La silhouette s'écrasa dans un bruit sourd et les tissus qui la recouvraient glissèrent de part et d'autre, révélant de nombreuses informations sur l'inconnue.

De toute évidence, elle n'était pas humaine. Deux ailes recouvertes de plumes claires étaient attachées au dos de la créature et descendaient jusqu'à ses fosses poplitées. Laukas ne connaissait pas très bien cette race, compte tenu de son faible nombre de représentants, et les quelques ragots qui circulaient à leur propos n'étaient pas élogieux, au contraire. Pourtant, les Célelles n'avaient rien fait de particulier pour générer autant d'inimitié. Le « problème », si l'on pouvait l'appeler ainsi, se traduisait en réalité par une forte jalousie : depuis la nuit des temps, l'Homme rêvait de voler pour accéder à une forme de liberté fantasmée qui ne lui enlevait rien à ses droits habituels. Les Célelles, pour leur plus grand bonheur et malheur, combinaient les caractéristiques d'un humain standard à celles d'un volatile majestueux comportant des membres supérieurs lui permettant de fendre les cieux et de profiter des courants aériens pour se déplacer rapidement.

Forcément, certains y voyaient une forme d'injustice et maudissaient de bon cœur les rares membres de cette espèce méconnue.

L'humanoïde inanimée devant le couturier semblait avoir perdu connaissance. Ne sachant réellement quelle position adopter en de telles circonstances, Laukas jeta un coup d'œil autour de lui, s'assura qu'il n'y avait personne dans les environs, souleva et porta le corps à l'intérieur de son atelier sans aucune difficulté. Il improvisa une couchette de fortune et installa l'inconnue dessus, avant de retourner dans la rue et de récupérer toutes les affaires qu'il avait laissées sans surveillance, y compris la matière textile de piètre qualité qui dissimulait les ailes de l'étrangère. Lorsque la porte de la chaumière fut refermée, aucun témoin n'avait assisté à la scène.

Le jeune artisan ne voulait pas manquer de respect et dépasser des limites qu'il imaginait proche des siennes. Il se contenta de vérifier le pouls du corps immobile et mit à profit les quelques secondes d'attente pour étudier furtivement le visage et le reste du corps de la Célelle allongée devant lui. Elle avait des cheveux lisses mi-longs couleur pourpres et des traits doux et juvéniles. Son nez fin, ses lèvres assez épaisses et ses oreilles pointues lui conféraient un faciès pour le moins ravissant. En dehors de la terre qui ternissait son portrait, le propriétaire des lieux venait de rencontrer, et potentiellement de secourir, une créature magnifique qui le laissait bouche bée.

Il en oublia presque la priorité du moment.

Une fois le pouls détecté, son regard se porta sur sa tenue légère, de moins en moins adaptée aux conditions relativement difficiles d'un automne pluvieux et frisquet. À la vue des ornements et des couleurs choisies pour teindre le lin, Laukas comprit que l'étrangère avait acheté ces vêtements, ou les avait acquis d'une façon plus ou moins scrupuleuse pour se vêtir un minimum et garder sa dignité. Quoique... pouvait-on encore parler de dignité? Non contente de s'affubler d'habits inadaptés pour sa morphologie et en piteux états, elle avait été contrainte de dissimuler maladroitement ses ailes sous plusieurs couches de toiles dépareillées, trouées et tâchées.

La trinité sacrée. Le jeune artisan en avait des frissons.

Il l'étudia encore un peu, puis se leva et commença la préparation d'un bouillon à base de pommes de terre, de poireaux, de navets et des incontournables pincées de sels et d'herbes. Le feu dans l'âtre de la cheminée ne tarda pas à crépiter et les bûches donnèrent naissance à des flammes de plus en plus importantes pour, non seulement, apporter un peu plus de confort aux deux occupants de la chaumière, mais aussi faire bouillir le contenu de la marmite. Laukas s'agenouilla devant le bois calciné, remua les braises pour entretenir le feu, et se retourna pour mettre de l'ordre dans ses affaires et son atelier.

Lorsqu'il passa à côté de la couchette improvisée, il ne remarqua pas que deux yeux entrouverts analysaient chacun de ses faits et gestes. Alinéhi avait repris connaissance quelques instants auparavant et essayait de se remémorer comment elle avait atterri dans cette habitation qui, elle devait l'avouer, se révélait apaisante. Les craquements des bûches, la faim dévorante des flammes, les saveurs appétissantes qui planaient dans l'air... elle se sentait encore faible, privée de nourriture et d'eau depuis plusieurs jours maintenant, et elle espérait de tout son cœur qu'elle aurait droit à quelques lampées, ou bouchées, du plat en cours de cuisson.

À moins que cet humain ne soit aussi cruel que les autres, qu'elle ait parcouru autant de kilomètres et échappé à la mort à plusieurs reprises pour mieux se jeter dans la gueule du loup, et accepter de souffrir une toute dernière fois, loin des siens et de sa région natale.

Une épaisse couverture la recouvrait partiellement, ses ailes étaient pliées avec soin et sa tête reposait sur un oreiller bien rembourré. Tout en s'assurant que l'humain lui tournait bien le dos, Alinéhi se redressa lentement et se fit une représentation mentale de son environnement. La pièce était de forme octogonale, avec une table rectangulaire en bois massif au centre et quatre chaises avec assise en paille disposées autour. En face de la porte d'entrée, l'hôte avait accolé au mur un petit lit recouvert d'une demi-douzaine de couvertures qu'il avait probablement cousues lui-même, avec une armoire en bois sombre près du montant gauche et un plan de travail, partiellement taillé dans la pierre, au niveau du montant droit. Les odeurs alléchantes provenaient d'une marmite chauffée par les flammes du foyer, situé à l'opposé de la porte donnant sur l'atelier, dominé par le manteau de cheminée sur lequel étaient posés des biens précieux, à en juger par l'apparence, ainsi que des épices et des plantes que la Célelle parvenait difficilement à identifier. Enfin, deux bibliothèques majestueuses, à moitié remplies de livres, de parchemins, et de plantes d'intérieur protégées par des pots en terre cuite, complétaient le tableau en trônant majestueusement derrière la façade avant de l'habitation.

La couchette improvisée ne reposait pas directement sur le sol composé de dalles en terre cuite : le tapis épais, positionné sous la table et les chaises, couvrait suffisamment de surface pour installer une personne au sol sans avoir à déplacer le moindre meuble.

Alinéhi ne connaissait absolument pas la personne qui l'avait recueilli, mais sa méfiance diminuait progressivement à son égard. En repositionnant sa tête sur la surface moelleuse de l'oreiller pour faire face, cette fois-ci, à la monture du lit, elle découvrit un verre d'eau qui lui rappela à quel point sa gorge était sèche. Une folle envie la saisit d'avaler goulûment son contenu, mais son instinct de survie eut le dernier mot : dans un autre contexte, elle aurait, dans un premier temps, refusé poliment cette marque d'attention, puis l'aurait acceptée volontiers une fois la proposition réitérée... Malheureusement, les évènements récents la poussaient à craindre le pire, à redouter une quelconque forme d'empoisonnement en dépit des signes encourageants constatés jusqu'à présent.

Le regard fixé sur le conteneur en verre, elle en oublia de feindre l'inconscience lorsque l'humain passa non loin de là et découvrit qu'elle était éveillée.

-- Comment vous sentez-vous? Vous n'avez pas soif?

La Célelle ne répondit pas et se recroquevilla sous son plaid, ne laissant apparaître que ses deux yeux marrons dévisager son interlocuteur avec un mélange de curiosité et d'effroi. Laukas ne s'attendait pas spécialement à ce comportement, mais il essaya tout de même de comprendre en quoi son attitude inquiétait tant la frêle créature ratatinée devant lui. Il déduisit rapidement qu'observer une autre personne avec une telle différence de hauteur pouvait se révéler intimidant, si bien qu'il commença par s'assoir en tailleur pour réduire l'écart et ainsi tenter de lui faire comprendre qu'il voulait parler d'égal à égal.

Les secondes s'écoulèrent et personne n'osa articuler le moindre mot ou onomatopée, ni même bouger d'un centimètre au risque de déclencher une suite d'évènements indésirables dont chacun se serait bien passé. Alinéhi continuait de s'agripper avec force au tissu et de se faire toute petite, analysant méticuleusement le visage d'une potentielle nouvelle menace. Lorsque Laukas, qui commençait à s'impatienter, redemanda posément comment elle se sentait, la Célelle ouvrit timidement la bouche et laissa la spécificité de sa voix se mêler aux crépitements des bûches.

Bouche bée, l'artisan finit par reprendre ses esprits et se leva lentement. Le fait qu'elle puisse communiquer était rassurant, certes, mais il savait également qu'ils ne se comprendraient probablement jamais. Outre le fait qu'ils parlaient chacun leur propre langue, l'espèce dont Alinéhi faisait partie avait une autre particularité : celle d'émettre des sons diphoniques pour nuancer leurs propos. Cela signifiait que, pour indiquer la forme de leur phrase à leur interlocuteur, chaque phonème était accompagné d'une deuxième « tonalité », proche du « i » pour une affirmation, du « u » pour une interrogation, du « a » pour une négation et du « o » pour une émotion. En fonction de la complexité de la phrase, la seconde voix pouvait varier à plusieurs reprises afin d'apporter les nuances nécessaires et rester fidèle aux pensées du locuteur. Laukas avait déjà entendu un ménestrel utilisé cette technique de chant dit « diphonique » par le passé, ce qui laissait entrevoir la possibilité qu'un être humain pût communiquer avec les Célelles à condition qu'il maîtrise également le vocabulaire, la grammaire et toutes les autres caractéristiques de la langue concernée.

Là encore, le fond et la forme étaient indissociables.

Comment s'exprimer (et se faire comprendre) facilement sans avoir recours au langage?

Le dessin?

* * *

Les croquis sont capables de grandes choses, mais, quand l'individu qui tient le bout de charbon n'est pas... compétent, il est parfois nécessaire de les compléter avec des mimes.

Une fois les présentations faites et les intentions révélées, la situation évolua pour le mieux. Alinéhi fit de son mieux pour expliquer son parcours jonché d'obstacles et de sacrifices pour arriver jusqu'à Armanne en désespoir de cause : après avoir quitté le territoire des Célelles en compagnie de plusieurs autres représentants de son espèce, elle s'était retrouvée face à une armée d'envahisseurs qui venait de conquérir Brettin, une ville marchande de la nation voisine, initiale destination de la caravane. La tentative de fuite s'était révélée vaine et la pluie de flèches qui les avait ciblés fit des ravages : avec une aile transpercée à deux endroits, elle avait préféré rejoindre le sol pour atténuer la douleur cinglante qui accompagnait chaque battement, et s'était fait capturer sans avoir eu l'occasion de résister vaillamment.

La suite de la narration était décousue, et Alinéhi se perdit dans un enchevêtrement de souvenirs et d'émotions. Laukas comprit qu'elle avait connu bien des malheurs au contact des humains en assistant à la mise à mort de ses semblables, à leur brutalité sans nom et à leur absence de valeurs. Jusqu'alors épargnée de leur nature sauvage, les destins s'étaient croisés alors qu'elle avait rejoint le petit groupe de Célelles dans le cadre d'un rite d'initiation. Ligotée et bâillonnée, on l'avait transportée de chariot en chariot, l'avait fait séjourner dans de multiples camps temporaires, jusqu'à ce qu'elle soit forcée à monter sur une houlque, un voilier de petite taille, pour une traversée dont elle ne connaissait aucun détail. Pendant deux jours et deux nuits, elle avait été contrainte de rester dans une cabine exiguë plongée dans le noir complet jusqu'à ce que, à l'aube du troisième jour, elle entende le déclic de la serrure et des mouvements furtifs qui la débarrassèrent de ses liens. Cinq minutes plus tard, elle s'était déjà propulsée maladroitement dans les airs, en direction de la côte la plus proche qui scintillait faiblement dans la luminosité grandissante.

Quels que soient l'identité et les dessins de son libérateur, elle avait tendu sa volonté vers un seul et unique objectif : quitter cet enfer et rejoindre sa patrie.

Par chance, le vent était favorable en soufflant vers l'intérieur des terres. Elle arriva dans un piteux état au pied d'une falaise, grimpa avec une faiblesse infinie la pente qui menait au village d'Armanne, puis passa la journée qui suivit à se cacher, à chercher d'éventuelles denrées abandonnées ou perdues, à trouver des matières lui permettant de se dissimuler aux yeux de tous. Elle avoua aussi avoir « emprunté » plusieurs bouts de tissus au couturier, qui reconnut effectivement des chutes de matières textiles, bazardées derrière sa chaumière, dans le tas qui recouvrait les ailes de la Célelle au moment de leur rencontre.

Il était tard lorsqu'ils décidèrent de mettre momentanément fin aux échanges. L'estomac d'Alinéhi ne criait plus famine depuis qu'elle avait ingéré le bouillon et profité de la générosité de son hôte pour retrouver des forces. Elle tomba dans un sommeil récupérateur sans s'en rendre compte, bercée par la chaleur du logis, la sensation de satiété, le calme qui régnait dans les environs et le sentiment d'être tombée entre de bonnes mains.

* * *

Ce n'est qu'en début d'après-midi qu'elle émergea complètement du sommeil. Gardant les yeux clos pour savourer le contact doux et moelleux de l'oreiller, ainsi que le poids réconfortant des couvertures dont le nombre avait augmenté au petit matin, elle entendit le clapotis régulier et sourd des gouttes qui s'écrasaient à l'extérieur, les soudaines rafales de vent qui faisaient onduler les voiles de pluie et le bruit généré par Laukas dans son atelier.

Le fait d'être allongé sur le ventre lui permit de faire quelques mouvements avec ces ailes, et c'est en essayant de se lever qu'elle constata à quel point elle était encore affaiblie. Elle s'appuya sur le dossier d'une chaise le temps que les vertiges s'estompèrent, que sa vision retrouva sa netteté habituelle, avant de se diriger vers l'encadrement de la porte qui donnait sur l'atelier. Le jeune artisan sortit de ses réflexions et leva la tête de ses patrons pour retrouver la frêle créature qu'il avait accueillie sous son toit la veille. Avec une timidité clairement affichée, les deux individus se saluèrent à leur façon, utilisant les gestes de communication qu'on leur avait inculqués très tôt au cours de leur existence. L'humain plaça sa main sur son cœur et effectua un mouvement de la tête vers l'avant, pendant que la Célelle déployait son aile gauche vers le haut et dépliait avec grâce son bras gauche jusqu'à ce qu'il soit tendu et orienté vers le sol avec un angle d'environ quarante-cinq degrés, paume vers l'avant.

Fort heureusement, aucun des deux gestes ne pouvait être interprété autrement dans la culture de l'autre. Ils étaient tous deux conscients que, malgré leur bonne volonté, leur ouverture d'esprit et leur apparente bienveillance, une pointe de méfiance ne s'évanouirait probablement jamais. Tout simplement parce qu'ils n'étaient pas de la même espèce et restaient des inconnus. Tout simplement parce qu'avant leur rencontre improbable de la veille, ils ne s'étaient pas façonné une image de l'autre avec des caractéristiques positives, avaient construit un portrait basé sur des préjugés et un processus inconscient de généralisation. Pour autant, cela n'avait pas empêché Laukas de porter secours à cette étrangère exténuée et de lui accorder l'hospitalité pendant quelques jours, jusqu'à ce qu'elle décide de repartir. Il lui fit comprendre du mieux qu'il put, avec des gestes, des gribouillages, des sourires discrets qui se voulaient rassurants, encourageants. Parfois, les deux individus masquaient leur frustration derrière des masques et des soupirs avortés, car il n'y avait rien de plus exaspérant que d'avoir une idée en tête, de ne pas réussir à l'exprimer exactement comme on la conçoit, et d'observer son interlocuteur plisser les yeux, se creuser la tête avec détermination, et émettre une hypothèse à côté de la plaque.

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