Ombres & Complot - Chapitre 09

Alis se réveilla, comme flottant dans une bulle de coton. Elle n'avait plus si mal et la chaleur sur son visage avait quelque chose de réconfortant. Alors qu'elle remuait elle sentit une main douce et chaude se poser doucement sur sa joue.

" Ma chérie tu nous a fait une de ces peurs... "

Elle ouvrit les yeux, d'abord aveuglée par les rayons du soleil qui éclairaient la pièce, et tout ce blanc, partout...

" ... Maman? "

Alis la dévisagea, perdue, la vague sensation d'oublier quelque chose flottant dans son esprit.

Une deuxième personne s'approcha, plus imposante, posant sur elle un regard plein de tendresse au milieu de cette barbe foisonnante qui virait au gris.

" Tout va bien Alis, nous sommes là... "

Elle eut un petit pincement au cœur qu'elle ne s'expliqua pas et lui sourit en retour.

Une main chaleureuse et ferme saisit délicatement la sienne, de l'autre côté du lit.

Elle tourna la tête et adressa un doux sourire à l'homme qu'elle reconnut comme son fiancé. Il avait les cheveux en pétard, à son habitude et l'air fatigué, mais il parvenait comme toujours à trouver l'énergie de lui adresser un beau sourire.

{ Loïc, tu m'as tellement manqué, j'ai l'impression de ne plus t'avoir vu depuis... }

Elle fronça les sourcils, essayant de se redresser, quelque chose n'allait pas.

Son père la repoussa doucement en arrière.

" Tout va bien ma chérie, prend ton temps... C'était un sacré accident. "

Elle se rappelait vaguement d'avoir eu un accident oui, il y avait un semi remorque, il avait plu... Elle se massa les tempes, elle oubliait quelque chose de fondamental mais elle ne parvenait pas à mettre le doigt dessus.

Loïc lui caressa la joue, l'observant amoureusement.

" Trois jours dans les vapes et tu es toujours belle comme jamais, il faudra que tu m'expliques ton secret un jour... "

Elle lui sourit en retour et posa sa main sur celle de son fiancé.

Son père toussota, un large sourire aux lèvres.

" On va vous laisser, mais tu as besoin de repos jeune fille. " Il la menaça du doigt les yeux pétillants de malice.

Sa mère se pencha pour lui poser un baiser sur le front.

" Les docteurs ont l'air confiants, on te ramène à la maison demain mon ange. "

Elle aperçut les moniteurs autour d'elle et la perfusion dans son bras et hocha doucement la tête, souriant à sa mère.

Son père l'embrassa à son tour et ils quittèrent la chambre d'hôpital.

{ Je dois encore être un peu secouée, mais tout va bien... }

Elle reporta son attention sur Loïc qui l'admirait littéralement du regard, embrassant ses doigts en serrant sa main comme un trésor.

" Tu nous as vraiment foutu la trouille... Je sais que tu te trouves un peu jeune pour qu'on se marie mais n'espère pas t'échapper comme ça. "

Il lui adressa un grand sourire et elle s'efforça de sourire en retour, soucieuse.

{ Oui c'est vrai à l'époque je devais avoir la vingtaine... } Elle fronça à nouveau les sourcils, scrutant la pièce.

" Alis? Ça va? Je sais que je ne suis pas toujours drôle mais tu fais vraiment une drôle de tête. Excuse moi si ce n'était pas le moment d'en parler. "

Elle secoua doucement la tête à son attention et lui sourit timidement.

" Non c'est juste que... C'est encore confus dans ma tête... Mais tant que tu es là, tout va bien. " Elle lui agrippa le bras et l'attira doucement à elle pour l'embrasser.

Il répondit à son baiser avec passion tandis qu'elle glissait une main derrière sa nuque et venait jouer avec sa langue. Elle eut soudain un frisson bizarre, la bouche de Loïc semblait de plus en plus froide. Elle le relâcha et se recula doucement, l'observant, inquiète.

Il se contenta de lui sourire béatement.

" Tu devrais essayer de te reposer, tu as l'air encore sacrément bouleversée. Les docteurs ont dit que c'était normal, qu'il te faudrait un peu de temps. "

Elle acquiesça doucement et se glissa un peu plus confortablement dans le lit. Ils échangèrent un rapide baiser puis il la laissa seule avec ses pensées.

Impossible de trouver le sommeil, elle avait beau se tourner dans un sens et dans l'autre, la couette et les draps lui semblaient de plus en plus lourd et elle ne parvenait à s'en dépêtrer. Elle pouvait apercevoir la lune déjà haute dans le ciel à travers les stores. L'hôpital était étrangement silencieux et elle s'étonnait de ne pas avoir eu la visite d'un médecin ou d'une infirmière depuis qu'elle avait repris connaissance. Une douleur aiguë lui lacérait le côté par moment, aussi appuya t'elle a plusieurs reprises sur le bouton pour appeler une infirmière, en vain.

{ La nuit promet d'être longue... Vivement qu'ils me ramènent à la maison... }

Elle fut prise d'un affreux doute, n'en trouvant pas l'origine.

{ Qu'est ce que tu oublies Alis... }

Elle fut sortie de ses rêveries par un étrange raclement métallique en provenance du couloir.

Elle s'éclaircit la gorge, décidant de tenter sa chance.

" Excusez moi? Il y a quelqu'un? J'aurais besoin d'une infirmière s'il vous plait... "

Pas de réponse.

Elle maugréa et repoussa les draps pour observer la blouse d'hôpital qu'elle portait. Une tâche sombre se dessinait sur son côté.

Alis se redressa en grimaçant et attrapa la barre à roulette sur laquelle était suspendue les pochettes en plastique de ses perfusions. S'aidant de cette appui de fortune elle se glissa hors du lit.

Le sol froid sous ses pieds nus lui arracha un frisson. Elle aurait apprécié avoir autre chose à se mettre également, sentant les pans de sa blouse s'entrouvrir sur ses fesses à chacun de ses pas. Elle s'avança petit à petit dans le couloir, encore groggy, cherchant désespérément âme qui vive.

Le couloir semblait interminable, et les portes des chambres qui se succédaient étaient toutes fermées. Elle s'attendait à entendre au moins quelques plaintes ou ronflements, mais non, tout était sinistrement silencieux.

Elle serra les dents, le souffle court, portant la main à son côté. La sensation humide et collante sous sa paume la força à baisser les yeux vers son côté et elle frémit en voyant que la tache sombre continuait de s'étendre. La jeune femme tira sur la blouse, la remontant au dessus de son nombril, voulant voir dans quel état était sa blessure. Tant pis si quelqu'un se rinçait l'œil au passage, peut être aurait elle l'assistance tant attendue au moins. Elle fronça les sourcils, la douleur était bien là, mais sa peau était nette, impeccable, pas le moindre trace de plaie, d'écorchure ou quoique ce soit. Elle effleura sa peau nue du bout des doigts, confuse.

Un grésillement la fit sursauter et elle lâcha la blouse qui se remit à peu près en place. Une porte était entrouverte au bout du couloir, une ampoule y clignotait, comme sur le point de rendre l'âme.

Alis s'y avança prudemment et, saisissant la poignée, poussa doucement la porte, scrutant la pièce éclairée par à-coups.

Il y avait qu'une table d'opération au milieu de la pièce. Une forme y reposait, couverte par un drap blanc maculé de sang. Une petite tablette couverte d'outils de chirurgie tout aussi ensanglantés trônait juste à côté de la table.

Elle s'approcha lentement de la table et saisit le drap blanc, hésitante. Lorsqu'elle trouva enfin le courage de retirer le drap, elle dut se reculer, muette d'horreur.

C'est son corps qui était allongé sur la table, son corps nu et couvert de contusions et de blessures de diverses gravités. Ce double qu'elle croyait mort se redressa subitement et la fixa de ses yeux qui avaient commencé à se voiler de blanc.

Alis tomba à genou, ne parvenant plus à supporter son propre poids, tremblante, des larmes roulant sur ses joues.

Son double s'approcha d'elle en titubant.

" Aliiiisss... "

La jeune femme se traîna vers l'arrière, ne quittant pas des yeux cette chose qui lui ressemblait en tout point. La peau de son double commençait à gonfler par endroit tandis qu'elle se rapprochait encore, maladroitement.

" Aliiiisss... " Sa peau s'ouvrait par endroit, un liquide noirâtre sortant des plaies de plus en plus béante, son crâne de plus en plus difforme.

Tétanisée d'horreur Alis se plaqua contre le mur derrière elle, tandis qu'une créature de cauchemar s'extirpait de la peau en charpie.

La créature avait la peau grisâtre, écailleuse, et encore couverte de jus noirâtre d'aspect visqueux, des tentacules couraient sur sa tête dépourvue de nez et d'oreilles dans un vague simulacre de barbe. Des petits yeux jaunes la fixait, tandis qu'une main arborant trois doigts anormalement longs et fins se tendait vers elle.

" Aliiiisss... "

Elle ferma les yeux et se replia sur elle même, poussant un hurlement, avant que les mains ne l'empoignent fermement.

" Aliiisss! REVEIIILLE TOI! "

" Alis, réveille toi ma chérie, tu fais un cauchemar. "

Elle se redressa brusquement, reprenant son souffle, en sueur, pour découvrir le visage rassurant de sa mère, assise au bord du lit.

Elle regarda autour d'elle, perdue.

{ Toujours à l'hôpital... }

Elle reporta son attention sur sa mère qui lui souriait tendrement.

" Je... Ça avait l'air tellement réel... "

Sa mère lui caressa tendrement la joue.

" C'est normal ma chérie, après tout ce que tu as traversé... Mais j'ai de bonnes nouvelles, les docteurs sont d'accord, on te ramène à la maison. "

Alis se laissa retomber dans le lit, jetant un coup d'œil vers la fenêtre. Il semblait faire grand soleil à l'extérieur.

Sa mère insista pour l'aider à s'habiller, lui faisant enfiler une jolie petite robe blanche d'été.

Elles quittèrent la chambre pour se diriger vers la réception, croisant des infirmières et des patients qui s'agitaient dans tout les sens et ne semblaient pas leur prêter attention.

Loïc et son père étaient entrain de discuter avec la secrétaire. Ils se tournèrent vers Alice en souriant en l'apercevant.

Loïc vint à sa rencontre et l'embrassa tendrement.

" Je suis tellement heureux que tu ailles mieux. Tu as juste un dernier papier à signer et on peut y aller. "

Il la guida doucement vers la réceptionniste qui lui tendit machinalement une feuille et un stylo.

Alis la dévisagea quelques instants. Elle avait déjà vu ces cheveux roux et cette peau diaphane, mais elle n'arrivait pas à se rappeler où.

Elle secoua doucement la tête, reportant son attention sur la feuille.

"Réveille toi Alis, réveille toi, tout de suite", elle cligna des yeux, abasourdies en lisant les caractères et fronça les sourcils en examinant la feuille. Elle avait du inventer tout ça suite à son cauchemar, il s'agissait d'un simple document de sortie.

Elle signa rapidement et rendit la feuille à la secrétaire.

Son père lui adressa un grand sourire.

" Bon et bien princesse, votre carrosse vous attend. Je vais chercher la voiture, on se rejoint dehors. "

Elle esquissa un maigre sourire en le voyant s'éloigner, et du plisser les yeux lorsqu'il franchit les portes de l'hôpital, la lumière vive de l'extérieur l'aveuglant.

Alors que cette nouvelle impression que quelque chose lui échappait venait la frapper, elle fut distraite par les bras qui venaient l'enserrer délicatement par derrière, des lèvres chaudes et humides venant déposer un baiser dans son cou. Elle se pelotonna contre Loïc, un grand sourire aux lèvres, et se tourna doucement vers lui.

" Alors on va se marier...? "

Il lui rendit son sourire, visiblement heureux.

" Oui. J'arrive toujours pas à croire à la chance que j'ai... Lucas veut bien être mon témoin d'ailleurs, il peut nous prêter une salle, et on pourrait se marier très vite... "

Il l'observait, un petit sourire aux lèvres, guettant sa réaction.

Alis l'attira à lui pour l'embrasser, souriante, mais quelque chose tiquait dans son esprit.

{ Lucas... Ça me dit quelque chose... Il y avait une fête ce soir là et... }

Loïc se détacha de son étreinte, tout sourire.

" Et bien dis donc, tu en perds les mots, ça doit être la première fois que ça t'arrive. (Il rit doucement.) Si le mariage te fait cet effet, qu'est ce que ça va être quand on voudra avoir des enfants. "

Alis resta figée sur place tandis que Loïc s'éloignait vers la sortie de l'hôpital, lui tendant la main, rayonnant de bonheur.

Elle sentit tout son être se briser, l'observant, un sourire amer aux lèvres.

Sa mère et Loïc lui faisaient de grands signes, toujours souriants.

" Viens! On rentre à la maison! "

Elle glissa les mains sur le bas de son ventre, la mort dans l'âme.

{ J'ai tant pleuré... Jamais je ne pourrais oublier ça... }

Peu à peu les connexions se refaisaient dans son esprit. Elle regarda tristement Loïc qui continuait de l'interpeller.

{ Il y avait une fête chez Lucas ce soir là... On avait bu tout les deux, j'ai pas voulu te laisser conduire... Et il y avait ce camion au milieu de la route... } Des larmes commencèrent à rouler sur ses joues.

Sa mère et Loïc commençait à l'appeler avec plus d'insistance, visiblement inquiets, et elle remarqua que l'autre côté du hall devenait de plus en plus sombre, contrastant avec la lumière éclatante venant de l'extérieur.

{ Tu as perdu l'usage de tes jambes et moi j'ai perdu toute chance de pouvoir un jour... On devait se marier... Mais malgré tout tes efforts pour faire comme si, tu me détestais depuis ce jour là... }

" MA CHÉRIE! DÉPÊCHE TOI! JE T'EN SUPPLIE! "

Elle reporta son attention sur sa mère qui la suppliait de venir, visiblement terrifiée par l'obscurité qui se rapprochait.

Alis pencha doucement la tête de côté.

{ Ho maman... Tu as toujours été là... Et puis... Le cancer t'as emporté... Et papa... Il est mort de tristesse, pressé comme il était de te rejoindre... Est ce que c'est mon tour maintenant? }

Elle jeta un coup d'œil vers la réception, de chaudes larmes coulant sur son visage. La rouquine avait disparue, ainsi que tout le monde dans l'hôpital en fait.

L'obscurité derrière elle ne semblait plus progresser, contrairement aux supplications de sa mère et de son fiancé. Elle jeta un dernier regard vers ses proches, le cœur serré, puis elle commença à avancer, chaque pas étant plus douloureux et difficile que le précédent, chaque mètre gagné ramenant blessures et contusions, et sous leurs hurlements de détresse, elle s'enfonça dans les ténèbres.